
Fil d'Ariane
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Il y a vingt ans, Féfé et Leeroy s’imposaient au sein du Saïan Supa Crew avec Angela, le tube le plus métissé de notre histoire. Drôles, percutants, libertins juste ce qu’il faut et musicalement aussi pluriels qu’inventifs, cette joyeuse équipe sut pendant une petite décennie renvoyer sur bande passante et écran plasma l’image d’un pays aux multiples brassages et bien dans ses baskets. Après la rupture en 2008, chaque membre du collectif s’en est allé faire son miel de son côté.
Féfé a sorti un brelan gagnant d’albums solos aux identités décloisonnées (soul, rap, rock, reggae), fait plusieurs tournées, et même un duo avec Eddy Mitchell. Pas en reste, Leeroy s’est immergé dans les délices de la musique de Bollywood, a célébré Fela Kuti dans un tribute album explosif et décoché sa propre salve de projets où il défie avec une rare finesse lexicale la frontière entre rap et chanson française. Sans manquer d’y inviter à chaque fois l’ami Féfé.
De sorte qu’ils n’ont pas eu à cliquer sur Les Copains d’Avant pour se retrouver. Non seulement le lien n’avait jamais été rompu mais il s’était solidifié au fil du temps sous la chaleur d’une admiration réciproque. «Dès que j’entendais Leeroy, je me disais « quel talent ! » s’enthousiasme Féfé. C’est simple, je ne connais personne sachant rapper comme lui, avoir ce genre de délires. C’est dans ces moments là que je me mettais à imaginer un projet commun. »
Leeroy de son côté évoque ces rencontres, parfois brèves, fortuites, entre deux portes, où les deux se promettaient de « faire un truc ensemble » sans jamais pouvoir prendre date. « Quand Féfé est arrivé avec son premier album solo se souvient il, j’ai pris une sérieuse claque. Des mélodies inspirées, des flows inédits, des gimmicks innovants, des lignes de basses extra-terrestres! Il a inventé quelque chose qui n’existait pas. Et qui n’existe toujours pas selon moi. Une manière unique de construire des chansons et de les produire.» Et puis début 2018, les planètes ont fini par s’aligner. Féfé avait terminé la tournée accompagnant son troisième album, Mauve. Leeroy rentrait du Nigeria où il venait d’achever celui sur Fela. A peine libérés de tout engagement, qu’ils bricolaient déjà des sons dans un esprit « chouette, c’est la récré ! », échangeant des idées, jouant au ping pong textuel, comme sur ce qui allait devenir Si L’on S’aimait. Féfé : « La chanson est née d’un coup de téléphone où je lui récitais un texte ébauché dans un esprit plutôt romantique à l’ancienne. Spontanément, il s’est mis à y glisser des propos moins fleur bleue. Et quand on a raccroché, l’affaire était pliée. »
Dans le salon de son appartement parisien, Féfé avait commencé par fixer un grand tableau au mur, bientôt noircit de mots clefs, d’envies et de noms propres. Dont les premiers furent ceux de Redman et Method Man et des Blues Brothers. Soit, dans les deux cas, des repères fiables quant à l’optimisation du concept de binôme artistique dans les registres précis du rap de combat et du rhythm’n’blues de plaisanterie. Ne leur restait en somme qu’à trouver le bon dosage. Une quête qui menée à la faveur de leur passé commun, et des automatismes acquis à l’époque Saïan que le temps n’a pu corrompre, a vite débouché sur des prouesses d’alchimistes. De cette synergie restaurée est né 365 jours, album qui mieux que reprendre l’histoire là où elle s’est interrompue, l’enrichit. Enregistré au studio Tefa (Rohff, Diam’s, Kery James), les dix titres agrémentés de deux interludes résultent d’une philosophie largement éprouvée en musique urbaine : le « do it yourself ». L’ensemble s’est donc construit à l’aide de programmations au profit d’une esthétique rentre dedans, qui ne s’épargne pas l’effort d’un update sans verser dans une quête de modernité effrénée risquant de faire perdre au projet son élan naturel. L’enjeu pour Féfé et Leeroy dans cet album bicéphale aura consisté à faire de ce retour aux fondamentaux un acte d’absolue sincérité. C’est du reste le propos de Come Back, qui ouvre le bal, où ils admettent leur âge, la double vingtaine, et leur statut de vétérans du rap, musique marginale à leurs débuts, représentant aujourd’hui le mainstream. Féfé : « C’est ce que j’appelle le « syndrome 8 Mile », d’après le film dont Eminem est la vedette. Ok, on part battu mais rien de grave. On ne revient pas pour entrer en compétition avec la nouvelle génération. On est libéré de tout ça. On va juste être nous mêmes. » Libres, ils le sont au point de se livrer à des exercices de style inédits comme sur ce Vie de Robot affranchi de toute syntaxe, aussi ludique dans la forme que porteur de sens. Autre freestyle, mais à l’ancienne, Dans Ma Zone exploite le thème du plaisir que procure le repli mental à un âge devenu mûr. Une « zénitude » qui autorise le détachement teinté d’auto ironie de Bam Bam, soit le bilan d’une carrière, la leur, faite de hauts et de bas. Mais les dispense en rien d’exercer leurs talents de portraitistes aux cinglants coups de fusain dans Photo. Ni d’exprimer dans Qui Suis Je ? Cet immense désarroi d’avoir encore à justifier leur appartenance pleine et entière à la nation lorsqu’on est fils d’immigré marocain (Leeroy) ou nigérian (Féfé). Ce rapport ambigu à l’époque stimule à chaque minute un sens du mot qui clash, une métrique couperet. L’émotion pure jaillit dans ce Out of Love, auquel Aloe Blacc prête le chant juste. Une certaine langueur tropicale s’empare de Place Au Soleil où l’on rend pudiquement hommage au courage et à la noblesse d’âme des gens sans importance, avec en prime le joli contre chant en espagnol de Camille Esteban. Et partout, sous le beat, la poésie. De celle propre à révéler un héritage où Gainsbourg trafique avec Tupac, où Renaud trinque avec Eminem.
Dans un an, c’est décidé, Féfé et Leeroy auront recouvré leur autonomie et repris leurs carrières respectives. Ce que Féfé traduit par : « tu kiffes maintenant, après c’est trop tard ». D’où ce titre 365 Jours qui vient accentuer l’impression que dégage l’écoute de cet album à la fraternité solaire : celle d’un moment rare.