Cela vient d’abord des yeux. Avant même de la voix. Cette intensité, cette fêlure, on la reçoit en premier lieu par le regard de Kimberly Kitson Mills, ces prunelles de jais qui vous capturent instantanément, comme pour prévenir qu’il va se passer quelque chose de rare, que vous allez entrer dans un autre monde, où plus rien n’aura d’importance que les vibrations, les caresses, les révoltes d’une voix sans pareille. Cette voix convoque instantanément la mémoire des divas douloureuses du jazz et de la soul, de Billie Holiday à Amy Winehouse en passant par Nina Simone. Celles là, comme d’autres, avaient infusé leur organe dans les vapeurs délétères des hommes toxiques et des substances assorties. Kimberly a aussi cette lancinante souffrance intime qui fait les grandes chanteuses de musique de l’âme. Petite française née de l’immigration, elle a un père anglais, scientifique qui travaille alors en France, puis un peu partout dans le monde, et une mère également anglophone, immigrée du Ghana à Paris, parce qu’elle n’avait pu obtenir de visa pour l’Angleterre. Les migrations sont une chance, on ne le répètera jamais assez. Kimberly éprouve cette douleur fondatrice quand ses parents se séparent, lorsqu’elle a deux ans. Le manque de ce père trop peu vu, puis disparu brutalement quand elle a vingt ans, devient le socle de son expression, lui inspire une chanson signature, “George”, et transfigure son interprétation d’une soul intime : quand elle chante, sur scène, on sait pour qui elle vit sa musique.
Chanter, c’est quelque chose que Kim a toujours fait : Britney Spears avec une brosse à cheveux en guise de micro devant le miroir de la salle de bain, puis Lauryn Hill dans sa chambre d’adolescente, en sourdine pour ne pas révéler sa passion à sa fratrie. Elle a toujours écrit aussi, des nouvelles, des textes épars, avant d’oser s’attaquer aux chansons. Car il aura fallu du temps avant que Kimberose. Etudiante en psychologie, pour devenir profileuse, elle rencontre Anthony, urgentiste et guitariste émérite, qui va devenir son guide en l’initiant à Sam Cooke et à toute la soul classique. C’est lors d’un bœuf informel, pendant un week-end pluvieux, qu’Anthony et ses amis musiciens prennent de plein fouet le talent de chanteuse de celle qui va devenir la lumière de leur inspiration. Entre temps Kim a suivi des études d’infirmière, s’est frotté brièvement au rite de passage moderne qu’est le télé crochet. Elle n’était pas encore prête. Elle en souffrait. Se résoudre à mener une vie normale, à Chantilly, entre l’hôpital et son foyer, ça n’était pas pour elle, mais la confiance s’est faite attendre. Il lui a fallu travailler son répertoire, avec Anthony et ses acolytes, se rôder sur les petites scènes locales, et puis enfin « oser » être celle qu’elle était prédestinée à devenir. Une chanteuse sidérante, une tornade de feeling, revisitant cette musique désormais ancienne qu’est la soul pour lui redonner vigueur et nerf. Parfaitement bilingue (quant elle était petite, sa mère ne parlait pas encore français, et puis elle a passé toutes ses vacances en Angleterre, dans la famille ghanéenne de cette maman qui d’ailleurs vit aujourd’hui là-bas), Kim écrit une cinquantaine de chansons en quelques semaines, et puis tout va très vite. Repéré, Kimberose (pour Kimber ose, enfin) enregistre un EP de 4 titres, qui lui vaut un passage remarqué dans Taratata, puis dans d’autres émissions de télévision. Ces moments où le petit écran se fait vecteur de vérité suscitent une frénésie d’intérêt du public, que cette apparition a su toucher, au delà des contraintes du genre. Les salles vont grossir, qui accueilleront Kimberose en ce début 2018, pour une tournée qui s’annonce enchanteresse. Un album verra le jour à la fin de cet hiver. Si le EP et les prestations live de Kimberose restaient dans une facture très classique (guitare, piano, contrebasse, batterie), l’album osera emprunter à des territoires plus modernes, sans pour autant verser dans la pop. « Je veux faire des choses jolies, qui me rendent fière, sans restriction de style » déclare-t-elle.
D’Athis-Mons à Chantilly en passant par Corbeil, Kim a grandi en cachant ce trésor au fond d’elle. Une petite française normale, avec un secret qui, enfin révélé, lui autorise désormais de conquérir le monde. Cette musique est universelle, car elle est incarnée, construite sur les sentiments des hommes et des femmes que la vie module pour en faire des artistes intemporels, à l’opposé des formatages et des codes pop. Des artistes qui restent. « La soul m’a touchée, parce qu’elle offre une façon moins lisse de chanter, les artistes y sont vrais, ils montrent leurs blessures et leurs faiblesses ».
Solaire et fragile à la fois, Kim, à 26 ans, est prête, et armée pour partager cette évidence : la musique de l’âme a encore tant à dire, et tellement d’extases à offrir.
En 2018, Kimberose interprète le titre « Where Did You Sleep Last Night ? » dans la BO du film « Ma Fille, » de Naidra Ayadi avec Roschdy Zem, Natacha Krief, Darina Al Joundi, Camille Aguilar, Doria Achour et Faycal Safi. Et, en septembre de la même année, elle présente son premier album "Chapter One" sur TV5MONDE dans l'émission ACOUSTIC.
Texte réactualisé le 6 novembre 2018
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